L'église Saint-Martin de Maizières-lès-Metz

Extraits de l’ « Histoire de la reconstruction des églises de Maizières-lès-Metz », Pazdej R., Les Éditions du Net. 299 p., 2014 et « l’église Saint-Martin de Maizières-lès-Metz et ses symboles », Pazdej R., 60 p. format A5, 2011, Paroisse de Maizières-lès-Metz.

 

L’église de Maizières-lès-Metz présente deux particularités. Elle est résolument moderne, – ce qui frappe le visiteur et le décontenance. Elle contient des éléments architecturaux qui interpellent.

Deux aspects qui nous encouragent à l’observer non seulement du dehors mais aussi du dedans des choses que le regard décèle, comme le fait tout « bon » touriste en pays étranger soucieux de fixer sur la pellicule les paysages qu’il n’a jamais vus mais aussi d’enregistrer dans sa mémoire les sentiments nés au contact avec sa population, quelque chose qui ressemble à l’âme du pays ou à un cœur qui bat.

C’est donc bien à une double visite à laquelle nous sommes conviés pour découvrir cette église : voir l’intérieur de l’édifice religieux mais aussi et surtout découvrir l’intérieur de l’intérieur.

 

Un peu d’histoire.

Septembre 1944. L’église de Maizières construite en 1763 a été sévèrement touchée par les bombardements de la seconde guerre mondiale ; aux trois quarts détruite, elle resta cependant debout mais devint inutilisable. Commença alors pour la communauté catholique, une période d’errance à la recherche d’un lieu de culte pour dire les messes et célébrer les grands événements religieux qui ponctuent notre vie. Ce fut, tout d’abord, la grande salle du café Putelli, puis, en novembre 1945, l’école de la rue des Près, mais aussi le plein air avec le ciel pour seul toit, et, finalement, en mars 1946, une chapelle en bois construite dans l’impasse dite de la Chapelle et qui, dans un incendie déclaré le 27 mai 1960, à 2h30, finira en cendres et fumée, tel un ultime holocauste offert sur l’autel de la guerre.

 

L’église, de sa conception aux premiers jours. Dès 1948, l’architecte Rémy Le Caisne travailla sur les plans de la future église mais ce ne fût que 10 ans plus tard, le 24 novembre 1958, que le chantier de construction fut enfin ouvert conduisant, le 15 novembre 1959, à la pose de la « première pierre angulaire », puis, le 17 décembre 1961, à la consécration du sanctuaire. Le procès-verbal de clôture des comptes pour la construction de l’église fait apparaître une dépense totale d’un peu plus de 1 million de NF 1962 soit d’environ 2 millions € 2012

 

Sa construction n’était cependant pas entièrement achevée. Le presbytère qui l’accompagne, dessiné par Jacques Prud’homme, a été béni le 15 août 1962. Suivirent la construction du baptistère (1962-1963 ?), le montage de l’orgue (1963) et l’installation des verrières de la nef (septembre 1966). Puis vinrent les inévitables aménagements et transformations demandées par le concile Vatican 2 ou rendues nécessaires pour corriger quelques imperfections apparues au cours du temps et dont les principaux sont les suivants : installation du tabernacle dans la chapelle de semaine et déplacement de son autel de de manière à placer le célébrant face aux fidèles (1980) ; installation d’une nouvelle croix dans le chœur de l’église (1983) et d’un chemin de croix dans la chapelle (1986) ; ravalement de l’église et perte de la dalle de feu pascal (1987) ; suppression du banc de communion (1987) ; remplacement de la porte principale en bois d’un seul battant par un panneau métallique équipé de deux portillons (2008). Et pour aujourd’hui et demain ? Après l’église de pierre, encore et pour toujours l’Église de Pierre !

La longue période qui précéda la consécration de l’église fut troublée par des problèmes financiers qui expliquent en partie les lenteurs de cette entreprise, mais aussi par des dissensions apparues au sein de l’équipe chargée de suivre les travaux et ayant pour origine, entre autres, l’architecture quelque peu avant-gardiste de l’église qui nous fait pénétrer dans une autre dimension de cet édifice. De quoi s’agit-il ?

Ce qui, au premier abord, frappe le visiteur, c’est la nudité de ses murs, de ses piliers et de ses poutres en béton brut de décoffrage qu'aucun tableau ne vient couvrir pour masquer la rudesse de ce monde minéral, dépouillement non pas du fait d’une quelconque négligence des architectes, mais sobriété, proche de l’austérité, voulue pour que, comme une chair, palpite la pierre. En 1954, Le Caisne reconnaît avoir « poursuivi au mieux l’accomplissement de la liturgie, et tenté de mettre en valeur chacun des principaux symboles » et s’estimait heureux « qu’il [leur] soit reconnu y avoir mis de l’imagination » que seul un voyage intérieur peut mettre en lumière. Plus tard, en 1959, Jean Rouquet, l’architecte responsable de l’équipe en charge de la reconstruction de l’église, déclare que l’édifice a été « conçu dans le sens du recueillement parfait qui doit animer tout humain qui pénètre dans la Maison de Dieu ». Mais alors, déstabilisés par tant de modernité qui rompt avec la tradition et ainsi coupés de nos racines, comment nous recueillir, c’est à dire nous retrouver au fond de nous-même quand il n’y a plus de fond ? Peut-être en apprenant une nouvelle façon de lire notre histoire écrite au burin dans la pierre de cette église, pour que ce que nous voyons, éveille en nous ce que nous croyons…

 

Le Baptistère.

C’est ici que commence habituellement la vie du chrétien. On y accède dans la pure tradition chrétienne par l’allée des catéchumènes, volontairement détachée du corps principal de l’église. Construit au point le plus bas de l’église, le baptistère est un espace où sont réunis des éléments qui nous retracent l’histoire de l’Homme, notre histoire, du premier jour de la création à notre baptême en passant par la mer des Roseaux que Moïse franchit avec son peuple pour le sortir de l’esclavage. Cet espace est sous-tendu par deux axes. L’un, horizontal, est marqué au sol par une ligne de galets et nous rattache, tel un cordon ombilical, à nos origines c’est-à-dire à la Terre. L’autre, vertical, s’élève au-dessus des fonds baptismaux pour rejoindre un puits de lumière et nous rattache ainsi au Ciel.

 

Le corps principal de l‘église.

Il suffit de s’asseoir quelques instants sur l’un des bancs de l’église et de laisser vaguer le regard pour être interpellé par des détails qui accrochent notre attention, pour peu que nous ayons pris soin de surmonter la froideur du premier contact.

L’entrée par la porte centrale nous fait traverser un parvis où, il y a encore peu, se trouvait la dalle pascale érigée à la manière de l’autel des holocaustes de l’Ancien Testament ; il était là pour nous rappeler l’autel du sacrifice d’Isaac non mené à son terme. On pénètre dans l’église par le narthex construit pour aider le fidèle à se préparer à assister aux offices. Il le plonge dans l’obscurité pour que, pendant quelques instants, se taisent les bruits du monde et pour que s’éteignent les lumières de la ville. Deux confessionnaux qui aujourd’hui ne sont plus utilisés, sont creusés dans le béton du mur Ouest de l’église. Déshabillés de leur décor en bois, ils apparaissent, pour ceux qui ont débarqué sur l’île de Patmos et visité la grotte de la révélation aux trois fissures de Saint Jean, comme deux excavations où, une fois installés, nous sommes invités à un face-à-face avec nous même pour nous révéler à nous même. La chaire est accrochée aux piliers du clocher construit pour recevoir la parole et la semer par la bouche du prédicateur. Dans le chœur se trouve la croix d’un Christ glorieux avec, à son pied, le fauteuil du prêtre célébrant et, de chaque côté, deux bancs aux dimensions ajustées pour recevoir douze assistants. La table de la parole (l’ambon) et la table de l’eucharistie sont réunies ici pour nous rappeler que, comme au temps d’Esdras, écouter la parole se conjugue avec le verbe manger. Enfin, et ce dernier symbole n’est pas le moindre, l’église est traversée par une ligne claire qui semble prendre naissance au pied du mur de chevet, passe sous l’autel puis remonte l’allée pour venir s’évaporer sur le parvis : elle est ligne d’envoi des fidèles dans le Monde.

 

CONCLUSION.

Au Moyen-Âge, alors que le Peuple ne savait ni lire ni écrire, pour l’ouvrir à la connaissance de la Bible, les bâtisseurs de cathédrales y avaient placé des peintures, des fresques et des sculptures pour représenter les figures majeures de l’Histoire Sainte et illustrer ses grands événements. Ainsi, il n’était pas nécessaire de savoir lire pour apprendre les principaux passages du Livre Sacré et l’histoire de nos Pères. Cette méthode présentait cependant un inconvénient : l’imaginaire des Hommes était enfermé dans les représentations des artistes qui donnaient un visage à Jésus, Marie et Joseph, à Moïse, Abraham et Noé, à Adam et Eve… et même à Dieu le Père !

Ici, dans l’église de Maizières-lès-Metz, les choses sont beaucoup plus subtiles. Les architectes n’ont voulu ni tableau ni statue. Ils ont voulu une église nue pour laisser libre cours à notre imagination afin d’aller à la découverte de messages qu’ils ont cachés dans la pierre : rien d’extravagant pour accrocher le regard ; rien pour distraire l’esprit et rien pour le forcer ! L'église a été conçue comme une œuvre d’art : elle est une bande dessinée qui raconte notre Histoire et, quand nous entrons dans cette église, nous pénétrons dans cette bande dessinée…

 

Pénétrer dans ce sanctuaire, c’est, alors, comme entrer dans un tableau à trois dimensions pour en être acteur et l’animer. Et la visiter, c’est aller en pèlerinage au pays de sa foi.

 

R. PazdeJ

Septembre 2012